Portrait | Entrepreneuriat / Innovation

Ils font l'histoire #4 - Valentin Duthion, Le Regard Français

Le 9 décembre 2020

Façonner un t-shirt à partir d’une étoffe de convictions, d’idéaux et de coton bio ; le floquer de messages taquins abordant le handicap sous un angle badin : Valentin ne s’encombre d’aucun tabou lorsqu’il s’agit de lever l’opacité sur les aptitudes de ceux que l’on cantonne à leurs impossibilités.

Façonner un t-shirt à partir d’une étoffe de convictions, d’idéaux et de coton bio ; le floquer de messages taquins abordant le handicap sous un angle badin : Valentin ne s’encombre d’aucun tabou lorsqu’il s’agit de lever l’opacité sur les aptitudes de ceux que l’on cantonne à leurs impossibilités

« quand on me voit, on ne se dit pas “tiens, ce mec-là pratique le ski ou le triathlon !” Pourtant, ça fait partie des trucs dingues que je fais ! » Le cofondateur du Regard Français ne se contente pas de cet humour pinçant qu’il brandit pour fondre sa marque, mais l’érige sur un engagement social qui franchit aisément le seuil de son fauteuil roulant. Le Jurassien qui se postait gamin devant le poêle à bois, après avoir affronté une journée de grand froid, a beau en connaître un rayon sur la chaleur du second degré, c’est sans ironie que son empathie s’extériorise dans le developpement de son entreprise : « Faire porter à un aveugle un t-shirt blanc avec écrit “j’adore ce t-shirt rouge”, ou à un amputé “ce t-shirt m’a coûté un bras”  part de l’idée de traiter le sujet du handicap de manière décalée, d’exprimer sa différence avec autodérision. Bon… on s’est finalement aperçu que ça faisait aussi marrer sur un valide. Finalement, on s’adresse à Monsieur Tout le monde, on est totalement inclusif ! » 

 

En marge des formules maquettées pour marcher, du concept bien mâché et marqueté, Valentin s’est avant tout assuré que ce Regard Français se poursuive par-delà le produit fini, afin de dévoiler l’art et la manière avec laquelle il a été défini. Car sous le fard et la matière, ce sont toutes les mailles des savoir-faire handi-responsables qui se resserrent, des ESAT aux entreprises adaptées. Les uns découpent, assemblent et cousent, tandis que d’autres brodent, conditionnent et impriment : « Ça n’allait pas de soi ! On peut penser que les Entreprises Sociales et Solidaires travaillent de concert, mais elle ne se connaissent pas tant que ça, et restent chacune dans leur coin. Créer du lien entre tous ces acteurs sur le territoire, c’est ce qu’il y a de plus important pour nous. L’incubateur nous a ouvert les yeux en nous disant : “Plein de gens font des t-shirt parfaits ! Qu’est-ce que vous vendez vraiment ?” Le vêtement est presque une excuse. Ce que l’on souhaite, c’est changer le regard sur les personnes handicapées, montrer et valoriser leurs nombreuses compétences.  »

 

Mais avant de structurer de telles ambitions, le diplômé en physiologie et pathologie musculaire dut se débattre avec ses velléités de chercheur : « J’ai toujours appris à faire des démonstrations longues, alors que l’entrepreneuriat et les exercices de pitch nécessitent d’être rapide, instinctif, synthétique ! J’avais besoin d’un projet plus concret que de rester derrière un microscope. Plus de folie, quoi ! » Un passage éclair à l’INSA qui sort l’ingénieur-entrepreneur de sa « bulle de scientifique », et une première création que le principe de réalité rejeta sans ménagement, permirent à Valentin de fixer le cap : « À l’école, les meilleurs intervenants, les mecs de terrain étaient aussi chez Beelys. Je me disais qu’ils avaient du lourd là-bas. » C’est finalement aux côtés de Kévin que la voie se devine ; aux côtés de ce collègue devenu colloc que Valentin noue sa vision, et construit un avenir à sa façon : « Nous sommes tous les deux engagés au sein de l’Association des Paralysés de France. On monte et on anime des colonies de vacances adaptées.La pression, les engueulades et les moments d’euphorie, on savait déjà ce que c’était ! On s’est lancés dans tout ce qu’on aime : l’humour, le handicap, notre amitié. » Les comparses écumèrent alors « les idées pourries », froissèrent quelques brouillons à se réfugier dans un trou de souris, jusqu’à ce que le t-shirt l’emporte dans un échange de sourire. À Lyon, sous l’égide du programme Beelys et de l’incubateur Manufactory, Valentin affûte ses outils, ajuste sa posture pour faire fitter ses besoins avec ses moyens, alors qu’il pensait réussir par son seul mordant ou partir en crowdfunding la fleur aux dents : « Aller ailleurs ? Pour aller où ? Ces dispositifs d’accompagnement sont deux moteurs formidables ! Ils ont donné un cadre à notre projet, et réclament de mettre en place des indicateurs de réussite pour nous pousser dans nos retranchements. Je me souviens qu’à la fin de mes études, j’avais pris une année sabbatique pour imaginer plein de trucs super cools, et en fait, je n’ai rien fait. Être entouré est nécessaire, et le partage de solutions est d’autant plus constructif qu’il se fait avec tous les jeunes entrepreneurs de notre région. »

 

    Apprenant de ses réussites comme de ses boulettes, sur le chemin de la start-up, Valentin pourrait presque se passer de roulettes, tant son assurance a raillé le classique « mais vous n’y arriverez pas ! » Preuve, au final, que l’on peut soulever une flopée de trophées en dépit d’une amyotrophie spinale : « Je ne suis pas près d’oublier cette journée où on a appris dans le même temps qu’on serait dans la newsletter d’Ulule, qu’on avait gagné le concours de pitch Winter Innovation Lab et un accompagnement Google. » Dès lors, le t-shirt semble être un débouché trop short pour celui qui nourrit des ambitions en cohorte – « on compte créer des sweats et des chaussettes, et faire appel à une artiste indépendante en situation de handicap, toujours dans ce souci de mettre en avant le Made in France ! » Persuadé que Le Regard Français peut revêtir d’autres facettes et métiers, Valentin imagine déjà que ce changement de vue pourrait s’apposer de la tête aux pieds.
 

Le Regard Français c'est :  
 
  • 2 fondateurs
  • 3 associés
  • 2 ESAT et 2 entreprises adaptées, sollicitées à travers 9 compétences sur la région Auvergne-Rhône-Alpes (Lyon, Dardilly, Riorges) 
  • 500 % : objectif Ulule dépassé et 18 000 € récoltés
  • 1 500 préventes B2C
  • 1 000 préventes B2B
Découvrir le Regard Français


Un portrait réalisé par Trafalgar, Maison de Portraits